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Allaiter - bien plus qu'une histoire de sein ou de nutrition

 

Notre invité témoin : Dr Marc Pilliot

Certes, le lait maternel est l’aliment le mieux adapté aux besoins du nouveau‐né et du jeune nourrisson. Certes les bénéfices Santé de l’allaitement maternel sont très nombreux et largement prouvés chez l’enfant et chez la mère. Mais, en fait...

 

L’allaitement maternel est beaucoup plus qu’une simple histoire de sein ou qu’un sujet de nutrition. Parler d’allaitement, c’est aussi parler de la sensualité, des émotions, des hésitations, des ambivalences vécues au travers de cette relation mère‐enfant qui se cherche et qui s’établit à des rythmes variables. Dans l’allaitement, la mère est rapidement confrontée à des vagues d’émotions et aux réminiscences de sa propre histoire, aux croyances et aux valeurs de son entourage et de la société. Bref, pour la mère, la grossesse, puis l’allaitement maternel sont de véritables chemins initiatiques lui permettant d’aller à la rencontre d’elle‐même, à la rencontre de ses ressources profondes et, à la fin du compte, à la rencontre de son enfant.

 

C’est pour cela que l’allaitement maternel est aussi une histoire d’hommes : des hommes qui ont un rôle important à jouer dans l’accompagnement et le soutien de leur compagne en prise avec toutes les évolutions d’elle‐même ; des hommes qui, à cette occasion, découvrent une autre dimension de leur conjointe, une dimension symbolique qui les oblige à la modestie vis‐à‐vis d’eux‐mêmes et à l’émerveillement des liens qui s’établissent pendant les moments intimes de nutrition ; des hommes qui, à cette occasion, peuvent s’ouvrir à leur propre sensibilité et cheminer ainsi vers le tréfonds d’eux‐mêmes et vers la relation avec l’enfant. Bref, une véritable évolution de la masculinité.

 

Mais l’allaitement est aussi une histoire de bébé, un bébé en pleine « interaction » avec sa mère. Certes, avec la succion, il va stimuler et réguler la lactation, à son propre rythme et en fonction de ses besoins mais, contre le sein, il sera aussi en position optimale pour échanger des regards, ouvrir sa main pour masser le sein ou pour la tendre vers le visage de sa mère, ou bien encore lâcher le sein de sa bouche et le reprendre : autant d’échanges qui se font dans les rythmes de la tétée, dans la variété des goûts et des saveurs du lait, dans la chaleur du toucher, dans la douceur des regards, dans l’émotion des sentiments. Ce mélange intime et simultané de la nutrition lactée et de la nourriture affective a de quoi amplifier l'attachement si indispensable pour « sécuriser » le jeune nourrisson.

 

Mais l’allaitement va encore bien au‐delà du cercle intime du couple et de son enfant : c’est aussi une histoire de société et de culture. Certes, la lactation est une fonction naturelle, mais la pratique de l’allaitement est un geste éminemment culturel, imprégné de sens, de fantasmes, de fausses croyances, de valeurs ou de coutumes culturelles. En France, nous sommes d’emblée en difficulté face à l’allaitement car nous sommes, depuis plusieurs siècles, dans une culture de séparation et de non‐allaitement : pour tenir leur rang social, les nobles et les bourgeoises donnaient leur enfant à une nourrice, puis à un éducateur.

 

Encore actuellement, les séparations sont prônées dans la société française : haro sur le bébé dans la chambre des parents ou bien souvent porté dans les bras, allaitement et maternage prolongés considérés comme « une aliénation de la femme », crèche à 2 mois, école à 2 ans... autant d’éléments qui sont beaucoup moins marqués dans les autres pays, y compris en occident. Mais de nombreux autres facteurs freinent aussi l’allaitement maternel en France et notamment, entre autres :

  • Une médicalisation souvent excessive de la grossesse et de l’accouchement, favorisant ainsi le stress chez la future mère, voire une perte de confiance en soi

  • Une formation initiale sur l’allaitement inexistante pour les médecins et très inégale pour les autres professionnel(le)s de santé

  • Une information insuffisante des parents, voire des conseils contradictoires qui perturbent les mères et conduisent souvent à des échecs. Cela est d’autant plus délétère que les mères culpabilisent toujours de ne pas allaiter le temps qu’elles auraient souhaité

  • Une banalisation pressante de l’alimentation artificielle dans la société, mais aussi chez beaucoup de professionnel(le)s : à titre d’exemple, les rayons les plus visibles dans une pharmacie sont souvent ceux avec des tétines et avec des laits pour nourrissons

  • Un congé de maternité postnatal trop court qui, non seulement conduit souvent à exposer un trop jeune nourrisson aux germes d’une collectivité, mais aussi oblige la mère à se séparer de son bébé à un moment où elle commence tout juste à être à l’aise avec lui

    Bref, dans notre société, les mères sont bien seules face à leur désir d’allaiter.


    Dr Marc PILLIOT ‐ Pédiatre Ex‐Président de la CoFAM Co‐fondateur de IHAB France Membre de la CNNSE au Ministère

 

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